Nous avons échangé avec Aurélie REBAUDO-ZULBERTY, co-fondatrice et dirigeante associée du cabinet N’CO Conseil, qui accompagne tous les acteurs de l'immobilier (financeurs, investisseurs institutionnels, sociétés de gestion, foncières et tous les autres maillons de la chaine jusqu’aux occupants) dans leur démarche ESG (Environnementale, Sociétale et de Gouvernance).
En tant que société à mission, N'CO Conseil aide ses nombreux clients – comme GROUPAMA Immobilier, UNOFI, WEINBERG Capital Partners ou STAM Europe – à inscrire les enjeux environnementaux et sociaux au cœur de leur stratégie et dans leurs pratiques, dans l’objectif de “transformer les pratiques immobilières pour impacter positivement l'environnement".
La décarbonation : enjeux et objectifs
Actions & solutions
L’immobilier, deuxième secteur le plus impactant avec 25% des émissions de CO2 en France, fait face à des défis en termes de réglementations et d’innovations, pour contribuer à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone que s’est fixé l’Europe et la France à l’horizon 2050 pour répondre à l’ambition de l’Accord de Paris et maintenir l’élévation des températures à 1,5°C d’ici la fin du siècle.
La décarbonation du secteur immobilier regroupe les actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et en particulier le CO₂, tout au long du cycle de vie d’un bâtiment. La démarche s’articule autour de trois axes principaux : la performance énergétique (sobriété et efficacité), l'utilisation de matériaux bas carbone et l'optimisation de la durée de vie du bâtiment. La capacité d’un immeuble à faciliter l’usage des mobilités bas carbone et sa localisation (services et transports en commun) sont également des leviers utiles dans cette démarche.
Réglementations récentes
La France déploie des réglementations ambitieuses pour transformer le secteur immobilier. Plusieurs dispositifs clés redéfinissent les standards environnementaux.
Le Décret Tertiaire (ou dispositif éco-énergie tertiaire) impose une réduction drastique des consommations d'énergie des bâtiments tertiaires, avec des objectifs de réductions échelonnés de 40% d'ici 2030, 50% d'ici 2040, et 60% d'ici 2050 (ou l’atteinte de valeurs absolues).
La loi Élan (2018) cible le parc résidentiel avec trois objectifs : construire davantage de logements, simplifier les normes et intégrer les transitions énergétique et numérique dans l'habitat. Elle interdit progressivement la location des logements énergivores : classe G en 2025, F en 2028, et E en 2034, créant ainsi une pression sur la performance énergétique des bâtiments.
La réglementation environnementale 2020 (RE2020) est une réglementation française innovante pour les bâtiments neufs qui va au-delà de la simple réglementation thermique. Elle intègre l'efficacité énergétique et l'empreinte carbone globale, avec des exigences évolutives.
La RE2020 vise à réduire l'impact carbone total des bâtiments sur leur cycle de vie complet :
- La consommation d'énergie pendant l'exploitation du bâtiment
- L'empreinte carbone des matériaux de construction
Contrairement aux réglementations classiques axées uniquement sur l'énergie d'usage, la RE2020 cherche l'équilibre entre performance énergétique et impact carbone, évitant ainsi des paradoxes tel que la sur-isolation, qui bien qu'économe en énergie, augmente l'empreinte carbone des matériaux utilisés.
Le Décret BACS (building automation & control system) exige l'installation, pour les bâtiments tertiaires, de systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB), servant à piloter les équipements énergétiques, et fixe des standards et niveaux de performance pour ces équipements.
Pour en savoir plus sur les réglementations énergétiques :
- Décret Tertiaire sur le site du Ministère de la Transition écologique
- Loi Élan sur Légifrance
- RE2020 sur le site du Ministère de la Transition écologique
Solutions innovantes pour un immobilier bas carbone
Dans un contexte où 75% des bâtiments français sont considérés comme énergivores, les experts immobiliers développent des solutions innovantes en matière de performance énergétique et de construction durable.
La rénovation : un levier majeur pour la réduction des consommations énergétiques
« Les chiffres sont éloquents », explique notre experte. « Une rénovation complète peut réduire les consommations d'énergie de 60 à 80 % ».
Trois axes prioritaires doivent être travaillés pour une rénovation efficace des bâtiments :
- Le renforcement de l'isolation thermique globale (toiture, murs, fenêtres) permet de réduire la consommation énergétique en diminuant les pertes de chaleur jusqu'à 30 %.
- L'adoption de systèmes de chauffage performants tels que les pompes à chaleur, les chaudières biomasse ou les réseaux de chaleur urbains bas carbone qui permettent de réduire jusqu'à 50 % les émissions liées à la consommation d'énergie.
- L'installation de GTB (systèmes de Gestion Technique du Bâtiment) pour un pilotage intelligent des consommations d'énergie.
Matériaux : l'Innovation au Service de l'Environnement
Le secteur de la construction connaît une véritable révolution des matériaux. Alors que le béton traditionnel représente 8% des émissions mondiales de CO₂, de nouvelles alternatives émergent :
- Matériaux biosourcés : principalement le bois (stockant en moyenne 1 tonne de CO₂ par m³), la cuite – ou mieux encore la terre crue - permettent de réduire l'empreinte carbone en limitant les émissions liées à leur fabrication.
- Béton bas carbone : réduit les émissions de 40% en limitant l'utilisation de clinker, composant le plus émetteur du ciment classique.
En parallèle, une isolation écologique en fibre de bois, chanvre, paille ou ouate de cellulose favorise l’optimisation de la performance thermique.
Technologies et Gestion Intelligente des Bâtiments
Les nouvelles technologies, comme l’instrumentation et l'intelligence artificielle révolutionnent la gestion énergétique des bâtiments. “Ces systèmes de contrôle avancé, combinés aux façades intelligentes, comme les stores automatiques et les vitrages thermochromiques, optimisent l'efficacité énergétique sans investissements importants.”
Ces technologies, permettent un pilotage plus fin et réactif des équipements par :
- L'ajustement en temps réel des températures et de la ventilation.
- L'anticipation des besoins énergétiques selon l'occupation des bâtiments.
- Le monitoring précis des performances pour une correction rapide des dérives.
Toutefois, attention à la sur-instrumentation : les solutions intelligentes et les systèmes techniques doivent justifier leur impact par des économies réelles. Par ailleurs, mal utilisés, ces systèmes peuvent entraîner des surconsommations. Des systèmes autorégulés peuvent mal interpréter les besoins subjectifs des occupants. Et, si ces derniers modifient manuellement les réglages par inconfort, ces installations peuvent se révéler contre-productives. Une bonne formation des utilisateurs est donc essentielle.
Perspective réalisée par l’agence ORY Architecture pour AG2R LM Immobilier (Immeuble 44 Châteaudun, Paris)
Défis et opportunités
La résistance au changement représente un défi majeur. Les pratiques habituelles sont difficiles à repenser et leur remise en question peut être perçue comme risquée.
« Cela peut sembler être une solution simple et évidente, mais c'est en réalité l'une des plus importantes. »
Le coût des solutions innovantes constitue, par ailleurs, un défi financier. Cependant, lorsque ces investissements sont anticipés et évalués à l'échelle du projet, ils se révèlent pertinents car ils créent un produit mieux valorisable et plus attractif sur le marché.
Ainsi, les réglementations (loi Élan, RE2020) provoquent des phénomènes de marché où les actifs performants et à faible empreinte carbone sont privilégiés. Une prise de conscience globale a conduit les décideurs, convaincus de ces objectifs, à évaluer désormais les actifs selon des critères environnementaux, créant une réelle opportunité en termes de rentabilité, d'attractivité et de plus-value sur le marché.
Aides et financement
Face aux défis de la transition énergétique, des dispositifs d’aides financières ont été mis en place afin de soutenir les entreprises. L'ADEME accompagne particulièrement les TPE et PME dans la rénovation énergétique de leurs bureaux, avec des dispositifs tels que :
- Le dispositif Tremplin pour la transition écologique : permet de financer jusqu’à 80 % (plafond de 200 000 €) des dépenses éligibles liées à des actions concrètes : diagnostics énergétiques, modernisation d’équipements, ou encore études de faisabilité.
- Les Fonds Chaleur : soutient l’installation de systèmes de chauffage renouvelable comme la géothermie ou les chaudières biomasse.
- Les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) : offrent, quant à eux, des primes directement versées par les fournisseurs d’énergie (obligation) pour financer des travaux comme l’isolation ou la ventilation performante, cela par le biais d’un professionnel RGE.
- Enfin, le Prêt Éco-Énergie de Bpifrance en partenariat avec l’ADEME : facilite l’investissement sans garantie bancaire.
Ces aides sont cumulables et accessibles via un processus simple et en grande partie dématérialisé. (Voir les conditions d’éligibilité sur les liens associés.)
Cadre et perspective
Le secteur du bâtiment vise des objectifs ambitieux : une forte réduction des consommations énergétiques d'ici 2030, puis la neutralité carbone en 2050. L’atteinte de ces objectifs nécessitera la mise en œuvre de solutions technologiques innovantes et la mobilisation de tous les acteurs du secteurs (du propriétaire à l’occupant).
Pour atteindre les objectifs de décarbonation, le secteur fait l'objet d'un contrôle et d'une régulation continue à travers des échéances et des réglementations strictes. Ces mesures, qui comptent parmi les plus ambitieuses au niveau international, visent à aligner le secteur sur la trajectoire de limitation du réchauffement climatique à 1,5°C. L'outil CRREM (Carbon Risk Real Estate Monitor) sert de référentiel et permet aux acteurs d'évaluer la situation de leur patrimoine par rapport à la trajectoire 1,5°C.
Bien que nous n'ayons pas encore toutes les solutions techniques, nous avons une vision claire des objectifs 2050 et des trajectoires à suivre. La transformation du secteur immobilier continuera de progresser grâce aux innovations continues, à l'engagement collectif et à un cadre réglementaire adapté.
Merci à Aurélie REBAUDO-ZULBERTY pour cet échange instructif.
Contactez Alex Bolton afin de discuter de vos projets et enjeux immobiliers.